Comme on l’a mentionné dans l’article sur Eugène Ionesco, celui-ci et Beckett forment le couple d’auteurs du théâtre de l’absurde de cette catégorie « à la manière de ». Il convient donc de bien différencier leurs styles respectifs.
L’œuvre sur laquelle cet article est basé est sans doute la plus célèbre de Samuel Beckett, puisqu’il s’agit de En attendant Godot, dont voici un extrait, faute de pouvoir avoir le texte intégral disponible sur internet.
Comme pour Ionesco, Beckett est un auteur de théâtre, ses pièces se passent avec peu de personnages (cinq dans le cas de En attendant Godot), et avec une unité de lieu (le long d’une route pour cette même pièce).
Contrairement à Ionesco, avec lequel l’absurde se trouve pratiquement dans chaque phrase prise isolément, Beckett utilise un absurde de situation. Lorsqu’on lit une suite de quelques répliques de En attendant Godot, l’aspect absurde de la pièce ne saute pas aux yeux, car replacé dans le bon contexte, ces répliques pourraient parfaitement se révéler totalement cohérentes. Mais Beckett ne les entoure pas de ce « bon contexte ». On dit toujours en impro de ne pas jouer aux devinettes, on doit savoir rapidement qui sont les personnages et pourquoi ils sont là. Avec Beckett c’est tout le contraire. À la fin de En attendant Godot, on ne sait toujours pas qui il est, pourquoi les deux personnages sur scène l’attendent, ni même qui sont ces deux personnages, si ce n’est qu’ils se connaissent et sont amis. Ainsi, l’absurde apparaît plus chez Beckett d’un point de vu de la pièce dans sa globalité. Lorsque Estragon et Vladimir attendent Godot, ils font que ce n’importe qui (ou presque) pourrait faire en attendant : Estragon essaye d’enlever sa chaussure et Vladimir, qui vient de le retrouver, lui demande où il a passé la nuit. Mais nous n’en saurons pas plus sur ce qui s’est passé avant, ni sur pourquoi ils sont là. C’est un peu comme dans une improvisation voulue non absurde mais mal gérée, on va d’allusion en référence sans jamais totalement clarifier la situation pour le public. Les personnages, dans leur attente, parlent de ce qui leur passe par la tête, une idée en appelant une autre, et tout le premier acte se déroule ainsi, jusqu’à ce que la nuit les fasse partir, se disant que Godot n’arrivera plus aujourd’hui, et qu’ils reviendront l’attendre demain, au même endroit.
Autre différence avec Ionesco, le théâtre de Beckett n’est pas dénué d’action. Il y a dans En attendant Godot un jeu de scène avec un serviteur tenu par une corde, qui fait tomber tout ce qu’il porte à chaque fois que son maître tire sur celle-ci, et qui devra être maîtrisé par les autres personnages lorsqu’il commencera à devenir fou une fois qu’il n’aura plus sur la tête son chapeau.
Pour une meilleure illustration, voici une vidéo de cette pièce mise en scène par Walter Asmus en 1989.
En conclusion, une improvisation à la manière de Samuel Beckett sera presque un exercice tellement il ne sera pas nécessaire de se soucier de la cohérence du tout, et simplement improviser dans l’instant avec ce qui nous passe par la tête. On partira d’une situation de base avec peu de personnages, et on les fera évoluer avec ce qui nous vient sur l’instant, sans essayer de clarifier quoi que ce soit. Lorsque les idées manqueront, et que l’on aura l’impression d’avoir fait le tour de tout ce que l’on pouvait dire dans ce huit clos, on pourra alors faire entrer un ou deux autres personnages pour relancer l’action.