Lorsqu’on évoque Lewis Carroll, la première œuvre que l’on cite est « Alice au pays des merveilles », et lorsqu’on parle d’« Alice au pays des merveilles », la majorité des gens pensent à Walt Disney. Walt Disney n’a rien à voir avec Lewis Carroll (ni Tim Burton d’ailleurs). Toute personne ayant lu Lewis Caroll sait que ni Disney, ni Burton n’ont été fidèles à l’œuvre originale. C’est le principal écueil de cette catégorie, ne pas faire du Walt Disney.
Lewis Carroll, de son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson, était mathématicien et passionné de photographie. Il était également passionné par l’enfance, et plus particulièrement par les petites filles. Il existe bien sûr à cause de cela des théories prêtant à Dodgson des mœurs condamnables, mais rien aujourd’hui ne permet d’affirmer quoi que ce soit en ce sens. Le seul journal personnel qui soit parvenu jusqu’à nous a vu certaines de ses pages déchirées, et certains de ses volumes ont disparus. Cependant, il semblerait que cette disparition soit plus liée à la volonté de la famille qui auraient voulu préserver la réputation de Charles Dodgson vis-à-vis de pratiques réprimées à cette époque mais admises de nos jours (relations hors mariage car il ne l’a jamais été).
Pour en revenir à l’œuvre elle-même, dont les éléments les plus connus sont « Alice au pays des merveilles » et « La traversée du miroir », on pourrait la résumer ainsi, si l’on devait s’en tenir à une phrase : C’est le récit du rêve d’une petite fille de sept ans grandissant dans l’Angleterre victorienne.
Nous avons tous fait des rêves dont on a dit plus tard « c’était n’importe quoi ! ». Avec Carroll c’est un peu la même chose, sauf que nos rêves se forment à partir de notre vie de français, homme ou femme, jeune ou moins jeune, vivant au début du XXIème siècle, alors que ceux d’Alice (car il est question d’elle dans les deux œuvres que j’ai cité), se basent sur l’expérience d’une enfant, une fille, élevée en Angleterre, dans la classe moyenne, bercée de comptines, de poésies et de leçons de morales. Double difficulté pour improviser à la manière de Lewis Carroll, car il faut se mettre dans la peau d’une petite fille (ce qui est plus difficile pour un garçon), mais aussi se placer dans la société anglaise du siècle dernier. L’article sur la vie au XIXème siècle sera également utile pour cette catégorie. Pour cette raison, il ne semble pas vraiment possible d’être fidèle à Carroll, mais on peut tout de même respecter ce qui a pu être l’intention de Gravel et Leduc lorsqu’ils ont créé cette catégorie, à savoir raconter le rêve d’une enfant du siècle dernier, en imaginant ce qui aurait pu être son univers quotidien.
Ce qui a fait de Lewis Carroll un auteur incomparable lorsqu’il a publié ses premiers ouvrages, ce n’est pas qu’il écrivait pour les enfants, car il était loin d’être le seul à le faire, mais parce qu’il savait se mettre à la place des enfants, et que ses récits, contrairement aux autres destinés au jeune public de l’époque, n’étaient pas moralisateurs. Alors que les histoires destinées aux enfants du XIX ème siècle étaient tous écrit pour leur enseigner la vie, leur apprendre les règles à respecter, leur montrer ce qui était bien et mal, un peu comme l’ont fait les contes pendant des siècles, celles de Carroll ne donnent aucune morale, n’ont pas vraiment de fil conducteur, et n’ont d’autre effet que celui de d’exciter l’imagination. Avant son aventure, Alice est une petite fille de 7 ans, après, rien n’a changé, elle n’a rien appris, elle n’a rien gagné, si ce n’est le souvenir de ce qu’elle a vécu.
Pour ce qui est des deux récits cités (les seuls sur lesquels cet article se base), ils commencent dans la vraie vie pour rapidement tomber (au sens propre dans le cas d’« Alice au pays des merveilles ») dans le rêve. Le retour à la réalité se fait tout à la fin par un simple éveil. Dans « La traversée du miroir » c’est en secouant la reine rouge qu’Alice la voit se transformer en son chat, lui faisant alors réalisé qu’elle avait rêvé. Entre ces deux événements, tout est possible. Les personnages sont loufoques, bien que tirés de l’univers de cette enfant. On y voit surtout des représentants de comptines ou d’histoires populaires, des animaux, des rois, des reines, des valets… Certains personnages sont directement issus d’expressions aujourd’hui inusitées : on disait à l’époque « fou comme un chapelier », « fou comme un lièvre de mars », on parlait du « sourire d’un chat de Chester ». Les personnages de tweedle dee et tweedle dum, d’humpty dumpty, sont directement tirés de comptines connues de tous les enfants de l’époque. Comme dans les rêves, on peut passer d’un lieu à un autre comme par enchantement, des personnages peuvent apparaître venus de nulle part, ou alors se transformer, des chemins peuvent se prolonger au fur et à mesure que l’on avance. Comme dans les rêves également, on (le personnage principal, en l’occurrence Alice) ne se comporte pas de façon différente de la vie réelle, à cela près qu’on ne s’étonne de rien, on ne devient pas aussi absurde que les personnages que l’on rencontre. Ainsi, même si certaines choses dites sont absurdes, on y répond avec le plus de bon sens possible. Il y a par exemple dans « La traversée du miroir » une reine qui perd tout le temps son châle, mais Alice va l’aider à le fixer plus correctement à l’aide d’une aiguille. Cet épisode du châle est l’un des rares exemples où Alice prend une initiative. Comme dans les rêves, le personnage principal n’est jamais leader, il se laisse emporter par ceux qui l’entourent, il en va de même pour Alice. Ainsi, une impro à la manière de Carroll sera leadée par les personnages secondaires, et le joueur principal se laissera seulement porter. De la même façon, comme on ne se met pas en danger dans la vie réelle, on ne cherche pas à s’envoler en sautant d’une falaise lorsque l’on rêve, il en va de même pour Alice, même si tout nous laisse penser que l’on volera. Ce sont les personnages du rêves qui entraînent Alice dans des choses extraordinaires, mais non elle qui s’y lance, sauf lorsque cela part d’un acte anodin, comme manger un morceau de gâteau qui s’avère faire grandir démesurément.
Ce qu’il y a de fantastique avec Carroll, c’est la façon dont la construction (si tant est que l’on puisse parler de construction) de ses récits ressemble à ceux des rêves que l’on fait. L’imagination est pleinement visible, à tel point que l’on en vient à se demander où il va cherche de telles choses. Un bon exemple est celui du « Thé de fous ». Walt Disney est passé complètement à coté d’une invention géniale de Carroll à ce sujet. Le Chapelier et le lièvre de mars passent tout leur temps à pendre le thé, et le premier nous explique ce qu’il lui est arrivé (et pourquoi sa montre donne le jour mais pas l’heure). Lors d’un thé donné par la reine, le Chapelier à été invité à chanter. Lors de son interprétation, le reine s’est écriée « il massacre le Temps ! », en faisant référence à son manque de respect du rythme. Depuis lors, le Temps est fâché avec le Chapelier et refuse de passer pour lui. Ainsi, le Chapelier est bloqué à six heure (heure du thé), et passe donc ses jours à prendre le thé. Il y a énormément de jeux de mots dans les rêves d’Alice, principalement basés sur des déformations, ils sont bien représentatifs de ce qui peut sortir d’une imagination débridée par le sommeil. Par exemple, lorsque Alice essaye de réciter La Fontaine, voici ce qui lui vient :
« Maître Corbeau sur un arbre perché,
Faisait son nid entre des branches.
Il avait relevé ses manches,
Car il était très-affairé.
Maître Renard, par là passant,
Lui dit : ’ Descendez donc, compère .
Venez embrasser votre frère’
Le Corbeau, le reconnaissant,
Lui répondit en son ramage :
“Fromage”. »
Quand le Griffon et la fausse tortue (en référence au potage de fausse tortue dans lequel la viande onéreuse de cet animal était remplacée par du veau) parlent à Alice des matières enseignées dans leur école, ils citent : « les différentes branches de l’Arithmétique : l’Ambition, la Distraction, l’Enjolification, et la Dérision ».
Un dernier point important à propos des récits de Lewis Carroll, est l’omniprésence des comptines, poèmes et chansons. Comme ils font partie de la vie du personnages principal, ils ont souvent tendance à apparaître dans son rêve. Attention cependant à ne pas tomber dans la comédie musicale ou l’improvisation chantée. Le film de Disney est une comédie musicale mais la catégorie n’est pas Walt Disney, mais Lewis Carroll. Alice ne chante ou récite un poème que sous la forme d’une réflexion pour elle-même, ou à la demande d’un personnage lorsqu’elle dit pour elle-même quelque chose comme : « je connais une chanson qui parle de cela ». Les personnages qu’elle rencontre ont également tendance à chanter ou réciter, mais c’est toujours avec une introduction du type « nous connaissons une chanson qui parle de cela, veux-tu que nous te la chantions ? ». Question à laquelle Alice répond par l’affirmative afin de ne pas passer pour impolie. Lorsqu’elles sont interprétés, les chansons le sont comme le ferai une grand mère pour sa petite fille, sans chorégraphie ni mise en scène, à part quelques rares exceptions comme le quadrille des homards pour lequel les personnages du rêves dansent en rond autour d’Alice.
Pour résumer la catégorie à la manière de Lewis Carroll, il faut tout simplement se dire que c’est le récit du rêve d’un enfant (surtout pas Alice car se serait un cliché, donc choisir un autre prénom). Commencez dans le monde réel, passez dans le rêve suite à un événement peu commun (exemples à imiter sans reproduire sous peine de cliché : traversée d’un miroir, chute dans le terrier d’un lapin), lâchez votre imagination en mettant tout ce dont vous rêviez lorsque vous aviez sept ans, puis réveillez-vous à dix secondes de la fin pour vous rendre compte que tout cela n’était qu’un rêve. Une chose est sûr en tout cas à propos de la catégorie Lewis Carroll, si jamais l’arbitre vous siffle une faute de confusion, c’est qu’il doit immédiatement arrêter de faire de l’impro.